
EDF veut licencier Arnaud Bégin, ancien inspecteur de la sûreté nucléaire. Celui-ci assure qu’il a été harcelé pour avoir été trop rigoureux : il pointait de graves problèmes de sécurité dans les centrales.
EDF engage une procédure de licenciement contre Arnaud Bégin
EDF souhaite licencier Arnaud Bégin, ancien inspecteur EDF spécialisé dans la sûreté nucléaire. Selon lui, l’entreprise l’a mis en cause après des alertes répétées sur de graves problèmes de sécurité dans plusieurs centrales. Cette affaire relance le débat sur le traitement réservé aux inspecteurs EDF lorsqu’ils signalent des dysfonctionnements internes.
Le traitement interne des inspecteurs EDF convoqués pour des faits jugés « graves »
Mardi 10 octobre à midi, EDF a convoqué Arnaud Bégin à un entretien préalable à licenciement pour des « faits graves ». À la sortie du siège d’EDF à Saint-Denis, près de Paris, l’ancien inspecteur EDF affichait une vive émotion. Marqué par l’anxiété et le manque de sommeil, il confiait son incompréhension à Reporterre. Selon lui, la direction lui reproche des faits imprécis, sans noms ni éléments concrets.
Anne Debregeas, représentante du syndicat Sud Énergie, l’accompagnait lors de l’entretien. Elle décrit une atmosphère extrêmement tendue. Elle souligne surtout une faute procédurale d’EDF, qui n’a pas communiqué les griefs en amont. À ce jour, l’entreprise ne les a toujours pas précisés.
Inspecteurs EDF et conflit atypique au sein de l’entreprise
Ce dossier dépasse le cadre d’un conflit du travail classique. Arnaud Bégin occupait un poste de cadre très élevé chez EDF, au niveau GF 16. L’entreprise engage rarement des procédures disciplinaires contre ses hauts cadres, et encore moins contre des inspecteurs EDF expérimentés. Par ailleurs, il a exercé des fonctions clés au sein de l’Inspection nucléaire, un service stratégique pour la sûreté des installations.
Selon lui et plusieurs collègues, sa rigueur professionnelle explique la réaction de la direction. Jérôme Schmitt, porte-parole de Sud Énergie, estime que ses constats dérangent. Le syndicat considère que la direction craint l’impact de ces alertes sur l’image du nucléaire. Pourtant, Arnaud Bégin n’a jamais rendu publiques les anomalies observées durant sa carrière.
Du terrain à l’Inspection nucléaire : le parcours d’un inspecteur EDF
Arnaud Bégin a retracé son parcours à Reporterre, depuis sa maison en Normandie. Après le baccalauréat, il intègre l’Aéronavale comme navigateur aérien. Il y sert six ans avant de rejoindre EDF en 1998, comme rondier. À ce poste, il effectue des rondes d’inspection dans les centrales nucléaires.
Quatre ans plus tard, il devient ingénieur. En 2007, EDF le nomme chef d’exploitation à la centrale de Cattenom. Il y coordonne des équipes chargées de piloter deux réacteurs. Son exigence en matière de sûreté marque profondément son travail. En 2015, il rejoint l’Inspection nucléaire d’EDF, où les inspecteurs EDF contrôlent le respect strict des règles de sûreté.
Un inspecteur EDF reconnu pour sa rigueur professionnelle
Dès ses premières missions, Arnaud Bégin signale plusieurs anomalies, notamment à Tricastin et Dampierre. Certains responsables le jugent trop sévère. Lui assume cette exigence, estimant qu’elle fait partie intégrante du rôle des inspecteurs EDF. Progressivement, il acquiert la réputation d’un inspecteur particulièrement rigoureux dans le cercle des cadres du nucléaire.
L’enjeu reste pourtant central : garantir la sûreté maximale d’installations à haut risque. EDF affirme d’ailleurs placer officiellement la sûreté nucléaire au premier rang de ses priorités, comme le rappelle l’Autorité de sûreté nucléaire (lien sortant). Sur une vingtaine d’inspections approfondies menées par Bégin, seules trois suscitent des tensions internes notables.
Tricastin : un tournant majeur pour les inspecteurs EDF
En 2018, pour des raisons personnelles, Arnaud Bégin prépare son départ de l’Inspection nucléaire. Sa dernière mission se déroule à Tricastin, une centrale étroitement surveillée par l’ASN. À cette période, le site subit un contrôle renforcé en raison de lacunes identifiées en salle de commande.
Durant cette inspection, un responsable de la centrale, surnommé « Hugo », adopte un comportement hostile. Il suit l’inspecteur EDF, le contredit publiquement et le menace de plaintes internes. Cette pression affecte profondément Bégin, qui ne parvient pas à présenter lui-même ses conclusions finales.
Harcèlement, justice et lanceurs d’alerte chez EDF
Après son arrivée à Chooz, la situation se dégrade fortement. Arnaud Bégin décrit un quotidien marqué par l’isolement, le mépris et l’absence de missions claires. Il alerte l’ASN, qui reconnaît les faits et saisit le procureur en 2021. Malgré cela, la situation n’évolue pas. Fragilisé, il saisit les prud’hommes, sans succès, puis fait appel.
En parallèle, Le Monde publie en 2021 les révélations d’un lanceur d’alerte surnommé « Hugo ». Celui-ci reconnaît avoir harcelé Bégin sur instruction de la direction. Arnaud Bégin rejoint alors une plainte pénale sur les défaillances de sûreté à Tricastin. Pour aller plus loin, vous pouvez consulter notre article interne sur les alertes internes et les lanceurs d’alerte dans le nucléaire français.
EDF refuse toujours de commenter le fond de l’affaire. L’ASN confirme en avoir connaissance, sans communiquer davantage. La justice, quant à elle, poursuit désormais ses investigations.
Sources : https://reporterre.net/Arnaud-Begin-l-inspecteur-nucleaire-qu-EDF-veut-faire-taire
Photos : © Mathieu Génon / Reporterre



















