L’ASN et l’Etat : indépendance réelle ou façade politique ?

Lanceurs d’alerte dans le nucléaire : le tribunal administratif d’Orléans rappelle les compétences de l’ASNR

Par un jugement récent, le tribunal administratif d’Orléans est venu préciser la répartition des compétences entre l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) et la direction générale du travail (DGT) en matière de traitement des signalements émis par des lanceurs d’alerte travaillant dans des installations nucléaires. Cette décision s’inscrit dans le cadre du dispositif renforcé de protection des lanceurs d’alerte issu de la loi du 21 mars 2022.

Les faits : un salarié en quête de reconnaissance du statut de lanceur d’alerte

Le tribunal était saisi par un salarié ayant travaillé au sein d’installations nucléaires, qui avait, entre 2013 et 2020, signalé à plusieurs reprises des faits relatifs aux conditions de travail dans ces installations.

Estimant que ces signalements relevaient du régime juridique des lanceurs d’alerte, il avait sollicité auprès de l’ASNR la reconnaissance de ce statut.

L’ASNR a refusé de traiter la demande. Elle estimait que cette compétence relevait de la direction générale du travail (DGT). Saisie à son tour, la DGT a également refusé d’examiner la demande. Le salarié s’est ainsi retrouvé dans une situation de « déni de compétence », l’amenant à saisir le juge administratif.

Le cadre juridique : la réforme de 2022 sur les lanceurs d’alerte

La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 a renforcé la protection des lanceurs d’alerte. Elle permet désormais aux salariés de signaler leurs alertes à une autorité externe à leur employeur. Le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 précise les modalités de recueil et de traitement des signalements et liste les autorités externes compétentes. L’ASNR traite les alertes liées à la sûreté nucléaire, tandis que la DGT est compétente pour celles relatives aux conditions de travail.

Toutefois, le cas soumis au tribunal administratif d’Orléans portait sur des signalements concernant à la fois les conditions de travail et des faits sur des installations nucléaires.

La solution du tribunal : compétence confirmée de l’ASNR

Pour trancher, le tribunal s’est appuyé sur le code du travail. L’article R. 8111-11 précise que dans les installations nucléaires, les missions d’inspection du travail sont assurées par des agents de l’ASNR. Le tribunal a donc jugé que les signalements relatifs aux conditions de travail dans ces installations relèvent de l’ASNR. Cette décision interdit à l’ASNR de refuser de statuer sous prétexte que la compétence reviendrait à la DGT.

Portée pratique de la décision

Cette décision est importante. Elle rappelle que l’ASNR exerce une compétence globale incluant la sûreté nucléaire, la radioprotection et l’inspection du travail. Elle empêche que les lanceurs d’alerte se heurtent à des conflits de compétence entre autorités administratives, au risque de laisser leurs signalements sans traitement.

Le jugement montre aussi la vigilance du juge administratif. Il veille à l’effectivité de la protection des lanceurs d’alerte issue de la réforme de 2022 et à l’obligation pour les autorités d’assumer pleinement leurs compétences.

Limites opérationnelles de l’ASNR

Au-delà de la compétence, cette affaire révèle les limites opérationnelles de l’ASNR. Les inspecteurs sont avant tout formés à la sûreté nucléaire et à la radioprotection. Ils maîtrisent moins le droit du travail, le droit disciplinaire et le contentieux du licenciement. Cette spécificité peut compliquer le traitement des alertes portant sur des relations de travail, des mesures de rétorsion ou des procédures de licenciement.

Le cas de BEGIN Arnaud

BEGIN Arnaud, ancien salarié du site nucléaire de Paluel, a signalé des alertes qui n’auraient pas reçu d’examen contradictoire. Selon lui, l’ASNR a principalement analysé les informations fournies par EDF et le site de Paluel, sans considérer l’ensemble de ses alertes et arguments. Il reproche également à l’ASNR de ne pas avoir pris en compte la dimension de protection du lanceur d’alerte, contribuant selon lui à sa dégradation professionnelle et à son licenciement.

L’administration et l’employeur contestent vigoureusement ces éléments. Ils n’ont pas été qualifiés juridiquement comme manquement fautif. Néanmoins, ils illustrent les tensions structurelles existant lorsque l’autorité chargée de l’inspection du travail intervient dans un environnement où l’exploitant dispose d’une forte expertise et influence technique.

Une protection encore perfectible

Cette affaire souligne une difficulté persistante : la superposition des missions de sûreté nucléaire et de contrôle des relations de travail au sein de l’ASNR. Elle peut fragiliser la perception d’indépendance et d’impartialité dans le traitement des alertes sociales.

Le jugement rappelle que l’ASNR ne peut se défausser de sa compétence. Pour assurer une protection effective des lanceurs d’alerte, le secteur nucléaire doit renforcer :

  • l’expertise en droit du travail,

  • les garanties de contradiction et d’indépendance,

  • la vigilance face aux risques de représailles professionnelles.

À défaut, la compétence reconnue de l’ASNR pourrait rester insuffisante pour protéger réellement les salariés lanceurs d’alerte dans ce secteur sensible.

Pour approfondir ce sujet et comprendre les implications juridiques, consultez notre article sur la protection des lanceurs d’alerte dans le nucléaire.