
« Je n’imaginais pas que ma carrière au sein de l’industrie nucléaire basculerait un jour
non pas à cause d’un incident technique ou d’une faille de sûreté, mais à cause d’une histoire qui n’aurait jamais dû dépasser le seuil d’une simple enquête relavant du « parole contre parle ». Tout commence en octobre 2019 sur le site nucléaire de Chooz, où l’accès sur le site se fait sous contrôle strict, où chaque déplacement est tracé, où chaque minute de présence est enregistrée. C’est dans ce cadre ultra-réglementé qu’un collègue, que j’appellerai ici Paul R., affirme avoir été victime de gestes déplacés de ma part (trois attouchements sexuels).
Très vite, je découvre la plainte déposée contre moi. Les faits qu’il décrit sont imprécis, contradictoires, parfois mutuellement exclusifs. Certaines scènes qu’il imagine ne peuvent matériellement pas avoir eu lieu, car nous n’étions pas au même étage, pas dans le même bâtiment, parfois même pas dans la même zone du site. Les relevés de badgeage, ces enregistrements infalsifiables de chaque mouvement sur une installation nucléaire, contredisent point par point son récit. Je le signale immédiatement à ma hiérarchie qui va m’isole durant 2 ans, sans contact, avec le minimum vital, et cela même une fois l’affaire classée sans suite ! Une honte de cette hiérarchie.
C’est à ce moment précis que ma vie professionnelle se fracture.
Car la direction du site, pourtant parfaitement informée du caractère incohérent et techniquement impossible des faits rapportés, n’a pas réagi comme l’exigerait un employeur soumis à des règles strictes de sûreté. Elle ne mène aucune vérification sérieuse, ne questionne personne, ne recoupe aucune donnée, alors même que l’environnement de travail impose un niveau de traçabilité rarement égalé dans d’autres industries. Au lieu de protéger un salarié pris dans un engrenage absurde, la direction choisit de m’écarter immédiatement, comme si le simple soupçon suffisait à me bannir.
Je suis envoyé dans un service extérieur au site, sans mission, sans perspectives, dans un bureau sans téléphone, sans matériel et parfois même sans accès informatique. Je passe mes journées isolé, à me demander comment une entreprise fondée sur la rigueur scientifique peut cautionner une procédure si contraire à la raison. Cette mise à l’écart me brise. Quelques jours plus tard, submergé par la violence psychologique de la situation, je tente de mettre fin à mes jours.
Pendant ce temps, Paul R. poursuit son activité sur le site. L’enquête progresse lentement, mais elle finit par démontrer ce que je répétais depuis le premier jour. Les faits étaient impossibles. Le procureur classera finalement la plainte sans suite, absence totale d’infraction. J’aurais alors pu espérer un retour à la normale. J’aurais pu imaginer que la direction reconnaîtrait son erreur et réparerait les dommages causés.
Mais la réalité est tout autre.
L’entreprise refuse d’entendre mes arguments, mes souffrances, mes certificats médicaux et mes alertes. L’isolement s’installe durablement. Les promotions m’échappent les unes après les autres. La direction ignore mes demandes d’entretien. Elle enchaîne les décisions à mon encontre sans fournir de justification objective. Lorsque l’affaire arrive devant le juge, la cour d’appel constate les manquements répétés de l’employeur et reconnaît la gravité du préjudice moral que j’ai subi.
Et pourtant, malgré cette reconnaissance judiciaire, malgré les conclusions claires du parquet et malgré l’évidence matérielle, l’auteur de la dénonciation continue de travailler en zone nucléaire. L’entreprise ne prend aucune mesure. Elle n’applique aucune sanction. Elle ne procède à aucun repositionnement. Pire encore, les informations internes consultées laissent entendre qu’elle l’aurait promu. De mon côté, EDF me licencie pour seulement vingt-neuf jours d’activité sur un autre site. Elle agit comme si déplacer un ingénieur expérimenté présentait plus de risques que maintenir l’accès d’un agent ayant dénoncé à tort un collègue à une installation classée. Vice EDF et ses hauts dirigeants.
C’est ici que l’affaire révèle son aspect le plus troublant.
Le dossier montre que cet agent possède un casier judiciaire non vierge. Or la loi ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Pour travailler dans certaines zones nucléaires, un agent doit présenter un volet B3 exempt d’infractions incompatibles avec l’habilitation requise. Le principe d’honorabilité constitue une règle de sûreté, et non une simple recommandation. Pourtant, malgré ces exigences, malgré les alertes et malgré les procédures engagées, l’entreprise le maintient en fonction et lui accorde même une promotion. Lui, le lâche. Lui, l’incompétent.
Je reste la seule personne sanctionnée dans cette affaire. EDF protège l’agent qui m’a accusé à tort. Elle le maintient à son poste et considère le dossier clos. Voilà sans doute l’élément le plus incompréhensible. Dans une industrie qui exige l’excellence humaine, l’intégrité technique et la fiabilité absolue des comportements, la direction accepte qu’un auteur de dénonciation mensongère continue de travailler sur un site aussi sensible. Pendant ce temps, moi, ingénieur innocent reconnu comme victime par la justice, je me retrouve écarté.
Ainsi se résume mon histoire. Une affaire qui révèle moins une défaillance individuelle qu’un dysfonctionnement structurel, où la gestion interne semble parfois se construire en dépit de la logique et de la loi. Six ans pour avoir une réparation de 100 euros de la justice des Ardennes alors que la Procureure demandait 12 mois de prison avec sursis ! Une honte cette justice des Ardennes ! Une honte ! »
Conclusion d’Elektron-Vert
Pour l’association Elektron-Vert, cette affaire ne constitue pas seulement un drame humain, mais un signal d’alarme grave concernant la gouvernance interne des sites nucléaires français. Elle révèle une institution capable de sacrifier un salarié innocent plutôt que de reconnaître des erreurs de procédure, et prête à maintenir en activité un agent mis en cause pour une dénonciation mensongère, alors même que le principe d’honorabilité exigé par l’habilitation nucléaire devrait empêcher une telle situation.
Elektron-Vert rappelle qu’EDF n’est pas au-dessus des lois. La sûreté nucléaire repose sur la transparence, la fiabilité et le respect scrupuleux des règles, et non sur des décisions arbitraires ou des promotions en dépit du bon sens. L’entreprise a une obligation absolue de garantir que les personnes travaillant en zone nucléaire soient irréprochables au regard du volet B3 et de leurs comportements professionnels.
Dans ce dossier, rien de tel n’a été fait. L’agent ayant formulé une accusation mensongère reste en poste. Le salarié innocent est licencié. Et la direction, parfaitement informée, n’a entrepris aucune action corrective.
Elektron-Vert exige que lumière soit faite sur les mécanismes internes qui ont conduit à une telle aberration. La crédibilité de la filière nucléaire repose sur des responsabilités que nul ne peut ignorer.



















