
Pour juguler la surcapacité d’électricité, RTE évoque un ralentissement du développement des renouvelables
@journal « Le Monde »,
A défaut d’augmenter la demande, le gestionnaire du réseau français d’électricité n’exclut pas qu’il faille revoir à la baisse le rythme de croissance de l’éolien terrestre et du solaire.
Par Perrine Mouterde et Adrien Pécout
Contexte énergétique et publication du bilan prévisionnel de RTE
En septembre 2023, le gestionnaire du réseau français de transport d’électricité (RTE) actualisait ses travaux prospectifs sur les « futurs énergétiques ». Il introduisait alors le scénario « mondialisation contrariée », en réaction au début de la guerre en Ukraine en février 2022. À l’époque, RTE restait rassurant sur la sécurité d’approvisionnement en France. Deux ans plus tard, la nouvelle édition du « Bilan prévisionnel de RTE », publiée le 9 décembre, s’inscrit dans un contexte différent, avec 2035 pour horizon.
À l’international, les incertitudes économiques et géopolitiques se sont accentuées, notamment avec la poursuite du conflit en Ukraine et le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. En France, la question de la surproduction électrique remplace désormais celle des pénuries. La consommation reste faible, tandis que certains dirigeants politiques et responsables économiques critiquent le développement des énergies renouvelables, jugées « inutiles » et « coûteuses ».
Une situation de surcapacité électrique prolongée
RTE confirme que la France est entrée dans une situation de surcapacité électrique qui pourrait durer jusqu’en 2027 ou 2028. La consommation demeure inférieure de 20 TWh à celle d’avant la pandémie, en raison de gains d’efficacité, de sobriété et du contexte économique. En parallèle, la production bas carbone augmente grâce à la reprise nucléaire et au rythme accéléré du solaire et des autres renouvelables.
Cette abondance d’électricité offre plusieurs avantages. Elle entraîne une baisse des prix sur les marchés de gros, bénéfique pour les consommateurs et favorable à l’électrification. Elle permet également de continuer les exportations massives. Cependant, elle réduit les marges des producteurs et augmente le coût global du système. D’un point de vue technique, les périodes de forte production et faible consommation deviennent difficiles à gérer et nécessitent de nouveaux mécanismes de pilotage du réseau.
Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE, rappelle que « le système électrique ne peut croître durablement sans concilier les intérêts des consommateurs, des producteurs et des gestionnaires ».
Décarbonation rapide ou lente : deux trajectoires possibles
RTE propose deux trajectoires pour gérer cette surcapacité. La première, dite « décarbonation rapide », vise à électrifier de nouveaux usages, comme les véhicules et le chauffage. La consommation électrique passerait ainsi de 450 TWh aujourd’hui à 580 TWh en 2035. Cette trajectoire reste exigeante, mais elle est la seule à permettre de respecter les engagements climatiques et à réduire le coût moyen du système d’environ 7 €/MWh.
La seconde trajectoire, « décarbonation lente », suppose une augmentation modeste de la consommation, à 505 TWh en 2035. Dans ce cas, le développement des renouvelables devrait ralentir pour maintenir l’équilibre du système électrique. Ces scénarios montrent que réussir l’électrification est le levier le plus efficace pour décarboner le pays tout en optimisant les coûts.
Réglage transitoire et rôle des pouvoirs publics
Pour accélérer la décarbonation rapide, de nombreux industriels ont signé des contrats de raccordement totalisant environ 30 GW. RTE recommande aux pouvoirs publics de piloter l’électrification, et non seulement la production. Si l’électrification stagne faute de soutien public, le rythme des renouvelables pourrait ralentir. Le solaire et l’éolien terrestre seraient alors les plus impactés.
Un « réglage transitoire » du rythme de développement est possible, mais il doit rester prudent pour protéger les filières industrielles. Xavier Piechaczyk souligne l’importance de la visibilité pour les professionnels du solaire et de l’éolien, régulièrement affectés par les politiques de « stop and go ». À moyen et long terme, une consommation modérée pourrait également retarder des projets plus complexes, comme les grands parcs éoliens en mer et les nouveaux réacteurs nucléaires.
Perrine Mouterde et Adrien Pécout
Avis d’Elektron-Vert :
La publication du nouveau Bilan prévisionnel de RTE a ravivé un débat récurrent en France : face à une consommation d’électricité qui stagne, faut-il ralentir le développement des énergies renouvelables ? Le gestionnaire du réseau n’exclut pas cette hypothèse, à titre transitoire, si l’électrification des usages ne décolle pas. Une analyse techniquement fondée, mais qui ne doit pas masquer l’enjeu central de la transition énergétique.
Oui, la France traverse une phase de surcapacité électrique. Le constat dressé par RTE est clair : la consommation reste inférieure d’environ 20 térawattheures à son niveau d’avant la pandémie, tandis que la production bas carbone a fortement progressé, portée à la fois par le redressement du nucléaire et par l’essor rapide du solaire. Cette situation, déjà connue dans l’histoire électrique du pays, entraîne une baisse des prix de gros et renforce la capacité d’exportation, mais elle met aussi sous tension l’équilibre économique du système et complique sa gestion technique.
Pour autant, cette surcapacité ne saurait être interprétée comme un excès structurel de production renouvelable. Elle révèle avant tout un retard persistant de l’électrification des usages. Le cœur du problème n’est pas que la France produise trop d’électricité bas carbone, mais qu’elle en consomme trop peu pour remplacer efficacement le pétrole et le gaz, qui représentent encore près de 60 % de l’énergie finale consommée sur le territoire.
RTE le souligne lui-même :
la trajectoire dite de « décarbonation rapide », fondée sur une électrification massive des transports, du chauffage et de l’industrie, est à la fois la plus efficace sur le plan climatique et la moins coûteuse à moyen terme pour le système électrique. C’est aussi la seule compatible avec les engagements climatiques de la France à l’horizon 2030-2035. Le fait qu’elle soit aujourd’hui jugée « moins probable » ne tient pas à une impossibilité technique, mais à un manque de pilotage et de soutien public cohérent.
Dans ce contexte, évoquer un ralentissement du solaire et de l’éolien terrestre comme variable d’ajustement comporte des risques majeurs. Même présenté comme temporaire, un tel frein alimenterait une politique de « stop and go » déjà dénoncée par les industriels. Or l’instabilité réglementaire est l’un des principaux facteurs de fragilisation des filières : elle décourage l’investissement, détruit des compétences et renchérit, à terme, les coûts de la transition. L’histoire récente montre qu’il est toujours plus difficile et plus coûteux de relancer une dynamique industrielle que de la maintenir.
La surcapacité actuelle devrait au contraire être considérée comme une opportunité stratégique. Elle peut servir de levier pour accélérer l’électrification, développer le stockage, renforcer la flexibilité de la demande, déployer des tarifs incitatifs et attirer des activités industrielles électro-intensives. Autant de solutions qui permettent de valoriser l’électricité bas carbone disponible, plutôt que de freiner sa production.
En filigrane,
le débat ouvert par RTE pose une question éminemment politique : celle de la cohérence et de la visibilité de la stratégie énergétique française. Tant que la programmation pluriannuelle de l’énergie et la stratégie nationale bas carbone accusent du retard, la tentation demeure de traiter un problème de gouvernance par des ajustements techniques à court terme.
Le risque serait alors de confondre un réglage conjoncturel avec un changement de cap stratégique. La France n’a pas trop d’énergies renouvelables. Elle manque d’une politique résolue pour organiser la sortie des énergies fossiles. Freiner aujourd’hui le développement du solaire et de l’éolien reviendrait à retarder la décarbonation, au moment même où elle devrait s’accélérer.



















